21 juillet 2016 à 06:12

Culture foot à l'usage du joueur Noyalais : Arbitrage vidéo

 

ARBITRAGE VIDÉO ET JUSTICE DU FOOTBALL : UN CAS PRATIQUE

Foot-fiction – Mai 2018. L'Olympique lyonnais va réaliser l'impossible: devenir champion de France devant le Paris Saint-Germain. À condition que l'arbitrage vidéo penche en sa faveur sur une ultime action...

 

Le match de la 38e et dernière journée contre Bordeaux a bien commencé. Lyon mène d'un but grâce à un coup-franc de vingt-cinq mètres de Sergi Darder, son huitième de la saison. La fête bat son plein dans les tribunes, si bien que personne ne s'est aperçu de l'égalisation de Paul Bernardoni, de la tête, sur l'un des derniers corners de la partie.

La confusion est totale, les spectateurs regardent, ahuris, l'écran géant rejouer le but pour la quatrième fois. Dans la file d'attente du KFC, couloir 7 hall B du formidable outil™, les supporters attendent la livraison de leur pitance bien méritée après une heure trente d'encouragements joyeux. Ils ont préféré devancer la fin du match, parce que quand même, on a beau dire, mais la file d'attente des restaurants du Parc OL est un peu longue. Il faudrait interpeller Jean-Michel Aulas sur Twitter à ce sujet, on est en 2018 quand même, c'est incroyable une telle attente, dans un si beau stade, si moderne. Dans la file d'attente donc, les supporters regardent les écrans installés entre les promotions pour le superchickenfried et la rediffusion des meilleurs dégagements de Florent Laville. Les écrans, donc, repassent au ralenti le but bordelais qui prive les Lyonnais d'un sacre tant attendu.

 

"Valbuena roule. Un tour, deux tours…"

Mais déjà l'OL repart à l'attaque des buts girondins. L'écran affiche 92'34'', il reste moins de trente secondes dans le temps aditionnel...

D'une feinte de corps, Mathieu Valbuena mystifie Clément Chantôme (revenu au mercato hivernal 2017) et s'approche de la surface. Cédric Yambéré choisit alors d'intervenir, agrippant puis envoyant le meneur lyonnais au sol, à l'extrême limite de la surface. Le public retient son souffle, Stéphane Guy éructe, Jean-Michel Aulas tweete. Valbuena roule. Un tour, deux tours… Il est bien dans la surface de réparation, cette fois, c'est sûr.

L'arbitre siffle, s'efforçant, en un quart de seconde, de réfléchir aux options qui se présentent à lui. Siffler un coup franc aux vingt mètres? Accorder un penalty? Ou bien signifier au lutin lyonnais que la simulation ne prend pas, replacez-vous M. Valbuena? 

Une équipe, un stade et toute une ville sont suspendus au geste que s'apprête à effectuer M. Jaffredo. Son cerveau est en ébullition, il joue peut-être là une place en Coupe du monde, à quelques mois de sa retraite d'arbitre international.

D'un geste sûr, et après un échange avec l'assistant-vidéo situé en tribune (lequel lui dira "Démerde-toi mon pote, c'est de l'interprétation pure, il est dehors sur la caméra 8, dedans sur la caméra 13 et la 11 montre la lune… Je peux rien pour toi."), il désigne l'arc de cercle, devant la surface de réparation. Ce sera un coup franc, intéressant malgré tout.

Le stade fulmine, Gonalons et toute l'équipe lyonnaise se ruent sur l'arbitre, sauf Mathieu Valbuena qui, après s'être arrêté dans les filets, a ramassé son os de tibia et est parti à-cloche-pied vers l'infirmerie, les soigneurs lyonnais étant affairés autour du panaris de Clément Grenier. Valbuena ne le sait pas encore, mais, après une saison flamboyante, il ratera la Coupe du monde et sera transféré en janvier à l'Anorthosis Famagouste. Saloperie de destin.

Gros bouton rouge

Jean-Michel Aulas appuie alors sur un gros bouton rouge situé devant lui, dans la tribune présidentielle. Aussitôt, un voyant clignote sur le banc – connecté – du staff lyonnais. C'est le signe: Bruno Génésio fait appel au quatrième arbitre pour lui indiquer qu'il souhaite faire appel de l'interprétation de l'arbitre.

Averti par son assistant, Lionel Jaffredo n'a d'autre choix que de stopper momentanément la partie. Alors qu'on installe le podium pour un concert de Benjamin Biolay pendant l'entracte, les joueurs regagnent les vestiaires.

Depuis la réforme du 13 mai 2017, chaque équipe a en effet la possibilité, par l'intermédiaire de son entraîneur, de faire appel, une fois par match, d'une décision de l'arbitre. Car l'IFAB a choisi d'amender la loi V, selon laquelle "les décisions de l’arbitre sur des faits en relation avec le jeu sont sans appel, y compris la validation d’un but et le résultat du match" en y ajoutant la phrase suivante: "Chaque équipe est cependant autorisée à faire appel d'une décision finalement rendue par le directeur de jeu, dans la limite d'une fois par match."

Ce nouveau dispositif vient compléter la réforme de l'arbitrage vidéo. Devant la complexité de ce dernier et les dizaines de polémiques nées de sa mise en place, les instances du football ont dû revoir leur copie. Joueurs, entraîneurs, journalistes: tous ont découvert que les règles de leur sport étaient soumises à interprétation, que rares sont les décisions binaires. Qu'un arbitrage vidéo ne permettait pas de juger, ou en tout cas pas davantage qu'un arbitre en chair et en os, de la violence d'une faute ou de l'intentionnalité d'une main.

Le fonctionnement de cette procédure d'appel se veut le plus simple possible. Sitôt enclenchée par une équipe, l'arbitre vient expliquer, face aux entraîneurs – et aux caméras – le pourquoi de sa décision.

Les juristes des deux clubs ont alors vingt minutes pour rédiger un mémoire circonstancié. Celui-ci, en s'appuyant sur les dix-sept lois du jeu et leurs éléments d'interprétation, détaille la position du club. Il est ensuite présenté, pendant une audience ne devant pas excéder vingt-cinq minutes. Les trois juges sont tirés au sort à chaque journée, parmi un panel d'anciens arbitres et de "vrais" juges.

Démocratisation de la justice et marché des transferts des avocats

Ces séquences sont bien entendu filmées et font le bonheur des télévisions. Les images sont analysées par des experts juridiques en direct en plateau. Le foot a porté la démocratisation de la justice à un niveau jamais atteint. Des milliers de jeunes rêvent désormais d'imiter les avocats des clubs, nouvelles stars de ces tribunaux. En février, on a noté une hausse de 1.456% d'inscription en L1 droit, option justice sportive, sur le site Admission-Post-Bac. Spectaculaire, au détriment des spécialités habituelles que sont la sociologie et les arts appliqués.

Et le premier de ces avocats vedettes est bien sûr Me Dupont-Moretti, débauché à prix d'or par l'Olympique lyonnais au dernier mercato. Car oui, il existe maintenant un marché des transferts des avocats.

Dans la salle Serge-Chiesa, dans les entrailles du Parc OL, tout est installé pour le début de la procédure. Me Dupont-Moretti jette un œil à la caméra, balaie la salle d'un regard, s'éclaircit la voix.

"Mesdames et messieurs les jurés. L'heure est solennelle et c'est avec une conviction profonde, une confiance inébranlable en l'efficacité de notre justice que je me présente devant vous ce soir. Le football est un jeu, peut-être le plus beau de tous. Il tient en haleine des millions, des milliards de personnes sur cette planète, qui nous regardent ce soir. Il ne tient qu'à vous, par votre décision, de leur dire, dans les yeux: notre sport est beau car il est juste, car la force de ses règles ne peut plus, aujourd'hui, être trahie.

Dix-sept.

Dix-sept lois régissent ce jeu. Et des éléments d'interprétation pour aider l'arbitre dans sa noble et harassante tâche. Et enfin, cette cour pour évacuer définitivement tout aléa dans le jugement de notre sport.

Messieurs, il n'y a pas de place pour le doute. Oui, M. Valbuena a bien été victime d'une faute d'antijeu caractérisée, personne ne peut le nier. D'ailleurs l'arbitre a sifflé.

Non, la controverse qui nous amène à débattre ce soir porte sur le lieu du crime.

Cette faute a-t-elle été commise à l'extérieur ou à l'intérieur de la surface? 

Dans le mémoire de cent trente-quatre pages que nous vous avons remis, nous prouvons indubitablement qu'un coup de pied de réparation doit être accordé à Jean-Mi… À l'Olympique Lyonnais. Le penalty est indiscutable. Notamment en vertu de la page cent vingt-deux des Lois du Jeu, dans la partie recommandations, qui expose que: 'Si un défenseur commence à tenir un attaquant à l’extérieur de la surface de réparation mais poursuit son infraction à l’intérieur de la surface, l’arbitre accordera un coup de pied de réparation.' Les caméras de télévision en apportent une preuve supplémentaire, s'il en était besoin. Il vous faut aussi prendre en compte le dommage causé si un penalty n'était pas accordé, alors que M. Valbuena filait au but.

Messieurs, la France, le monde vous regardent. Par cette décision, vous portez l'espoir de tout un peuple qui n'attend qu'une chose, voir l'OL triompher à nouveau et partir défier le RB Leipzig et le Real Madrid à la table des géants. Ce sont des millions d'euros, des emplois, des familles, qui sont suspendus à votre décision. Ne le faites pas pour l'OL, faites-le pour la justice, pour le football, pour l'espoir de tous ces enfants qui nous regardent. 

J'ai terminé."

 

Maître Planus et scientifique italien

"Jean-Mi, tu me fais mal!" Le président Aulas relâche le bras de Bernard Lacombe, qu'il étreignait depuis le début de la plaidoirie. Il baisse la tête, écrase une larme. 

"Tu as entendu ça? C'est beau Bernard. Désolé, ça va ton bras?"

Déjà s'avance le défenseur des Bordelais, Me Planus. 

L'illustre libéro girondin s'est en effet reconverti dans le droit et se montre tout aussi à l'aise dans les prétoires des coursives des stades qu'il l'était sur un terrain. Quoiqu'un peu lent dans ses interventions, il place justement ses réparties et cible parfaitement les défauts de ses adversaires. 

"Le Football Club des Girondins de Bordeaux ne conteste pas la faute commise par M. Yambéré. Nous attirons simplement l'attention des juges sur le passif de M. Valbuena et sa propension à se jeter régulièrement au sol. Les images ne permettent en rien de prouver que c'est bien l'accrochage entre les deux joueurs qui entraîne la chute de M. Valbuena. 

Messieurs, je veux faire appel au docteur Culbuto, spécialiste italien des sciences du mouvement et mondialement célèbre pour ses travaux en énergie cinétique."

Stupeur dans l'assistance. Les juges se regardent et hochent doucement la tête.

"Il vous reste sept minutes, veillez à respecter le temps qui vous est imparti."

Le Docteur Culbuto s'avance. 

"Merci. J'ai regardé attentivement les images de la chute de M. Valbuena et je peux affirmer qu'elle n'est en rien naturelle. Je n'ai jamais vu cela. Regardez les images: il y a certes faute – encore que ce n'est pas à moi d'en juger. J'estime la vitesse de sa course à 18,7 km/h. À cette vitesse, la pression de la main de M. Yambéré paraît suffisante pour provoquer la chute du corps. 

Mais voyons ensuite le comportement du corps en question.

Il s'affaisse puis se roule sur lui-même. Je n'avais pas encore constaté de tel phénomène: il ne fait pas une mais bien cinq roulades consécutives. En aucun cas l'intervention du défenseur girondin ne saurait avoir provoqué cela, c'est là un comportement physique tout à fait inédit. 

Les sciences physiques sont ici impuissantes. À ce stade, l'explication est sans doute plus à chercher du côté des sciences comportementales. Cela n'est pas mon domaine, et je m'en tiendrai donc là."

"Messieurs les juges, je crois que c'est clair: M. Valbuena a délibérément exagéré la faute commise afin de s'assurer que l'infraction commise à l'extérieur de la surface se termine à l'intérieur. C'est un fait que vient de nous prouver la science. Je vous demande donc de valider la décision de l'arbitre d'accorder un coup franc."

Attente et conjectures

L'argument de Me Planus semble faire vaciller les trois juges.

"Merci, nous allons délibérer."

La saison lyonnaise se joue maintenant dans une petite pièce de 7 m², à la porte de laquelle Jean-Michel Aulas tambourine tant qu'il peut. Les consultants télés se perdent en conjectures, le stade commence à siffler devant l'attente interminable. À cet instant, Lyon est à la fois champion et vice-champion, en attendant que les juges sortent de leur boîte.

*          *         *

 

La suite de l'histoire sera racontée par les livres d'histoire du football. Le coup franc finalement accordé terminera dans la nuit étoilée lyonnaise et, pour la première fois, un titre de champion se sera décidé par les argumentations de la science. Paris empilera un nouveau trophée grâce à l'analyse d'un spécialiste italien de la chute des corps en mouvement

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